Stéréotypes de genre : décryptage et analyses approfondies

En 2021, moins de 20 % des personnages principaux féminins dans les albums jeunesse présentaient une activité professionnelle, contre plus de 45 % des personnages masculins. Les figures parentales, quant à elles, sont représentées dans 68 % des cas par une mère au foyer, alors que les pères sont majoritairement absents ou cantonnés à des rôles secondaires. Cette répartition ne reflète pas la réalité sociétale, mais elle persiste dans les ouvrages destinés aux plus jeunes lecteurs.Certaines maisons d’édition tentent d’inverser la tendance en publiant des ouvrages non genrés, mais ces initiatives demeurent marginales face au volume général du secteur.

Pourquoi les stéréotypes de genre persistent-ils dans la littérature jeunesse ?

En France, les histoires destinées à la jeunesse continuent de reproduire en boucle des stéréotypes de genre solidement implantés. Ce constat s’explique par une histoire éditoriale pesante, où les ressorts narratifs se transmettent presque sans effort, d’une génération à l’autre, tant chez les scénaristes que chez les illustrateurs. Le résultat saute aux yeux : les filles et les garçons héritent toujours des mêmes attributions, que ce soit dans la trame même du récit ou dans la moindre illustration.

Tout commence tôt, très tôt même, au moment où l’enfant entre en contact avec les premiers albums. Les attentes portées par la société s’invitent dans chaque histoire feuilletée. Pour l’enfant, le livre ne demeure jamais un simple objet de divertissement ; il forge une partition. Les héroïnes se consacrent à l’intérieur du foyer, les garçons, eux, s’élancent vers le dehors. Cette construction sociale du genre, les chercheurs en sciences humaines l’ont amplement documentée.

Pour saisir concrètement l’effet de ces stéréotypes, il faut observer leurs répercussions sur deux plans principaux :

  • Développement : très vite, les enfants se reconnaissent dans des figures récurrentes et intériorisent des modèles limités.
  • Discriminations : ces schémas persistants dans l’éducation et les histoires nourrissent des inégalités qui s’ancrent durablement.

Le genre va bien plus loin qu’une différence de surface : il modèle une hiérarchie invisible. Même quand elle ne le revendique pas, la littérature jeunesse endosse ce rôle, séparant espace public et tâches domestiques selon le sexe du personnage. L’école aurait la capacité d’opposer une résistance, mais elle aussi évolue dans ce bain culturel transmis par les albums qui font l’imaginaire collectif. Impossible de minimiser cette influence, tant elle conditionne les ambitions et les perspectives.

Des personnages aux intrigues : comment les récits façonnent l’imaginaire des enfants

Qui prend la parole ? Qui agit ? Un coup d’œil aux personnages et à la structure des récits suffit à deviner la suite. Leur répartition est loin d’être anodine : les albums illustrés préfèrent nettement montrer des garçons dans des rôles moteurs, actifs, prêts à partir à l’aventure. Les héroïnes, quant à elles, sont souvent liées au soin, au foyer, à l’expression des émotions,difficile pour elles de s’imposer dès le départ comme moteur du récit.

Les connaissances accumulées par les chercheurs le confirment : la façon dont les héros et héroïnes sont répartis influence profondément la vision que l’enfant construit du monde. On attribuera volontiers la créativité, l’assurance aux garçons ; la douceur, l’empathie et la sagesse aux filles. Rien d’anodin : ce découpage guide subtilement leurs aspirations, élargit ou limite leur horizon.

Plusieurs constantes émergent lorsqu’on examine la production actuelle :

  • Les filles restent très minoritaires comme personnages principaux dans les ouvrages récents.
  • Les garçons se voient confier la majorité des rôles valorisés : ceux d’aventuriers, de meneurs ou de créateurs.

En offrant des possibilités rabougries, ces histoires cloisonnent les enfants dans des cases, conditionnant leur perception d’eux-mêmes et du monde. Les clivages de l’âge adulte trouvent souvent leur origine dans ces représentations répétées, bien avant l’entrée dans l’univers professionnel ou public. Tout s’installe, imperceptiblement, dès les histoires de l’enfance.

Regards critiques : analyses récentes et études marquantes sur la représentation du genre

Pour décortiquer le sujet, chercheurs et chercheuses croisent plusieurs disciplines : sociologie, histoire, économie, psychologie. La réflexion s’est enrichie avec le temps : des textes pionniers de Simone de Beauvoir aux travaux actuels sur la performativité du genre, l’analyse s’est élargie, tout comme le panel d’institutions,Institut Émilie du Châtelet, CNRS, INED,qui contribuent à éclairer les mécanismes à l’œuvre, tant dans le choix scolaire que dans les parcours professionnels.

Malgré des évolutions sociétales, les inégalités de genre restent tenaces. Les rapports menés sur la petite enfance l’attestent : bien avant l’école, filles et garçons ne reçoivent pas les mêmes signaux, ni les mêmes encouragements. Cette logique se poursuit d’année en année, rigidifiant les rôles. Les recherches menées récemment valident ce constat : les images du masculin ou du féminin dans les livres et les médias façonnent, dès le plus jeune âge, la confiance et les ambitions de chacun.

Quelques jalons pour se repérer dans la diversité des analyses et des acteurs :

  • Les sciences sociales croisent désormais sociologie, histoire, psychologie et économie pour cerner les stéréotypes de genre.
  • De grandes écoles et institutions (EHESS, HEC, CNRS) déploient des initiatives variées : journées d’étude, publications, synthèses nationales.

Le concept de rapports sociaux de sexe se révèle précieux pour dévoiler les fils invisibles de la discrimination et de la perpétuation des stéréotypes à la française.

Personnes agees observant des enfants dans un parc

Explorer d’autres horizons : ressources et pistes pour une lecture plus égalitaire

Bousculer ces représentations exige un engagement collectif, notamment à l’école. La loi de refondation de l’école en 2013, portée par Vincent Peillon, a impulsé une première prise de conscience, suivie d’autres actions portées par des ministres comme Najat Vallaud-Belkacem. Depuis, une convention interministérielle coordonne les efforts dès l’école primaire, touchant l’éducation, la justice, les médias et même le monde du travail.

Le terrain n’est pas en reste : des syndicats enseignants tels que le SNUipp-FSU organisent débats et formations, tandis que SOS Homophobie intervient directement auprès des élèves. D’autres acteurs, parfois critiques à l’égard de l’approche du « genre », participent également à la discussion et font émerger de nouvelles questions sur l’évolution des programmes scolaires.

Pour accompagner ce mouvement, plusieurs outils sont déployés : le dispositif ABCD de l’égalité a ouvert de nouvelles perspectives malgré les débats ; des programmes existent pour proposer des formations et renouveler les pratiques pédagogiques. Ailleurs dans le monde, notamment en Afrique ou au Maroc, la place du genre dans l’éducation devient aussi un levier pour agir sur la société.

Les stratégies se multiplient pour faire bouger les lignes et encourager des lectures plus égalitaires. Parmi elles :

  • Ressources pédagogiques : outils concrets, interventions et dossiers à destination des élèves et des enseignants.
  • Actions syndicales, associatives : débats, accompagnement, sensibilisation sur le terrain.
  • Projets institutionnels : expérimentations, plans d’action coordonnés sur le territoire.

Faire évoluer la représentation des genres réclame de regarder autrement les histoires que l’on transmet. Face à ce miroir qu’est la littérature jeunesse, chaque lecteur, éducateur ou parent peut aussi devenir un point de bascule, celui qui ouvre la voie à d’autres horizons, plus vastes, plus libres.

Les plus lus